Les Sans-repos
Las, comme elle avait sommeil... Autour d'elle, le monde s'assombrissait de plus en plus, et pourtant, elle ne pourrait pas se reposer. Pas encore. Peut-être jamais. Elle aurait voulu que l'on vienne pour elle, elle désirait ardemment fermer les paupières... ne plus rien entendre, ne rien sentir, ne plus rien voir jamais... Mais c'était impossible, las ! pour la dernière de sa lignée.
Elle posa une main blanche et fine sur l'appui de la fenêtre grise, et laissa échapper un soupir glacé. La chaleur lancinante de ce soir d'été ne pouvait réchauffer cette statue glacée, pas plus que l'épaisse robe de brocard qu'elle portait. Sa peau marmoréenne faisait paraître gris son blanc vêtement.
Comme elle avait sommeil... Il faisait nuit maintenant.
Mais le repos lui était refusé.
Dans le visage de porcelaine où les yeux seuls semblaient animés, sa bouche s'ouvrit, dévoilant des canines acérées, et un chant s'échappa de son coeur sans espoir :
"Nous sommes les sans-repos,
Les éternels damnés.
Nous est fermé le tombeau,
A nous les condamnés.
Nous sommes les sans repos,
Immortels assoiffés,
Nous aspirons au tombeau,
Nous les désespérés.
Nous sommes les sans-repos
- Soleil, délivre-nous !
Mène-nous au tombeau,
Soleil, libère-nous..."
Sa décision était prise. Demain, elle contemplerait, pour la première et dernière fois, l'aube superbe et généreuse...
L'aube
Le parfum frémissant de l'aube aux frêles ailes
Résonne dans le flot des rivières dansantes.
Au long des rues pavées le soleil ensorcelle
Les souvenirs prochains d'une journée chantante.
Ornée d'or murmurant, l'eau vive s'émerveille,
Entre le frais rivage et les pierres polies,
En voyant dans le ciel son image vermeille
S'éclaircir et pâlir en graciles féeries.
Le jour pur au ciel doux comme un regard de reine
Allume la rosée de feux au goût de miel
Sous l'oeil effarouché des fées et ménestrels
Quand le soleil éclaire une tragique scène...
La pâle châtelaine aux lèvres rouge sang
N'a su se dérober à ses rayons ardents.
©eryndel